Monstres et Madones

Avec Melissa Boucher, Victor Man, Blair Thurman, et Céline Vaché-Olivieri
À partir du 21 mai à Triple V, Paris

[ENGLISH VERSION]

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Depuis le bleu froid de la montagne la plus haute, dans l’obscurité de la stalactite humide d’une grotte, ou dans les profondeurs tièdes d’un lac amazonien, l’œil du fantastique guette.
Un plaisant sentiment de peur se cache, rampe, nous happe.

Monstres et madones se tiennent par la main. Ils apparaissent au bout du télescope, dansant entre les étoiles lointaines ; sous la planche de surf lorsque la vague déferle ; peuplant les paysages de vert ou de chair ; ou dans un rayon de lumière quand la poussière, discrète, s’envole.

Le regard se perd dans l’abysse étoilée, ou s’arrête sur un détail infime : l’entendement cède au vertige. Lentement alors, se dessine, le pressentiment du sublime.

 

 

Là, maintenant. Jamais plus.

Les grands moments esthétiques, on les vit souvent seul. Confronté à une beauté terrible qui envahit le tout, d’un coup, qui nous remplit jusqu’à ne laisser aucun coin de notre esprit vacant : on s’y perd. Sous le choc, à chaud. Puis le moment passe. On reste derrière. Tiède, puis froid, et définitivement perturbé.

À l’image de ce tableau de Victor Man : la fleur se bat contre l’animal, et contre le squelette du temps qui menace d’éteindre l’instant. Les épines du chardon sont aussi belles qu’elles repoussent (Victor Man, Flower with Skeleton and Bear Wrestling).

La peur insoutenable de s’abandonner dans un moment de pure beauté, c’est parfois elle qui gagne. On emprisonne alors le monstre derrière une cage en verre (Blair Thurman, Super Model for STP). Le rythme du quotidien est prévisible, mais il rassure.

Le sublime, on y accède rarement, mais on effleure son pressentiment de temps en temps. L’expérience se fait alors par images perçues ou par moments vécus que l’on essaye de fixer, tant bien que mal, comme on peut.

Le ploc-ploc ou plic-plic des stalactites dans la grotte devient écho et se répand en ondes, en ronds, à la surface de l’eau. Vient alors le déclic de l’appareil argentique. La photo reste comme seul témoin physique de l’instant initiatique (Melissa Boucher, Echo et Relative Stranger).

L’appareil photo nous révèle aussi des petits monstres endormis (Melissa Boucher, Sleepy Vampire), qu’on n’oserait pas réveiller, moins par peur de la bête que par peur de briser notre contemplation ; ou des sombres créatures aquatiques qui planent sur le fond des aquariums étincelants (Melissa Boucher, Rayita).

Les créatures du désir nourrissent peut-être aussi nos extases. Des formes que l’on devine derrière un tissu gris, intriguant, fortement haptique (Céline Vaché-Olivieri, Contrebande) devient l’écran où se projettent nos rêveries : ce qui est caché séduit souvent plus que ce qui se donne à l’œil.

Pour l’amoureux, tout objet laissé par l’être aimé devient relique. Cette serviette de bain banale pourrait avoir séché le corps désiré (ce n’est pas ici le cas). Abandonnée à terre par une main négligente, puis figée dans ses plis grâce à de la peinture aérosol, elle devient alors piste presque photographique d’un instant de beauté trouvé dans le banal (Céline Vaché-Olivieri, Ananas Spray), peinture nomade d’un souvenir noir et blanc ineffaçable, mais impossible à reconstituer exactement.

Le pressentiment du sublime on le sent parfois aussi dans les grandes villes, et dans leur vacarme : des hasards heureux. Un sac plastique jaune, complètement cheap, que l’on voit s’élever par dessus le bitume, devient précieux. Un geste maîtrisé et délicat qu’on y transfère, une banane en grès, une structure : la naissance d’une beauté fragile parmi les débris (Céline Vaché-Olivieri, Structure portante avec sac).

 

Toutes les photos sont par André Morin et courtesy Triple V, Paris ; courtesy également des artistes.
Avec tous mes remerciements aux artistes, Blair Thurman & Circuit à Lausanne, ainsi qu’à Victor Man, à Luc et Carine Haenen, et à Galeria Plan B.

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