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Camila Oliveira Fairclough, « Picturesque »

“MA-MA”, “PA-PA”, sont souvent les premiers mots que l’on apprend, enfant, quand les balbutiements de bébé se transforment progressivement en sons dotés d’un sens. On apprendra ensuite d’autres mots, et plus tard encore, on nous dira qu’on peut illustrer les sons appris par des lettres.

En 2016, Camila Oliveira Fairclough présentait sa deuxième exposition personnelle à la galerie Emmanuel Hervé.
Pour “B.a-ba” l’artiste se collait aux premières lettres de l’alphabet, A-B-C, auxquelles venaient s’associer un certain nombre de tableaux.

L’œil pouvait suivre les bords pointus d’un châssis triangulaire, et glisser sur ce qu’on pouvait lire comme les sommets pentus de montagnes ou de volcans sur un fond orange fluo.
Après la fierté du A, venait la rondeur du B, et le regard bondissait sur un insistant “beaucoup beaucoup beaucoup BEAUCOUP”, à un “bonjour” timide et tronqué, puis à la peinture d’une banane, qu’on avait envie d’appeler “Banana”, avec plein de b. Plus flexible, le C, pouvait se retrouver dans la courbe d’une toile en forme d’arc, polyvalent (à prononcer dur ou doux), dans l’arc-en-ciel représenté, caché dans un motif de spirale bicolore, ou dans le claquement d’un “Kiss Kiss” argenté.

“B.a-Ba”, relevait d’une gymnastique mentale : on sautait d’une association d’idées à une autre, et la peinture, en plus de visuelle devenait sonore, comptine, puis chanson, ursonate, rythme et percussions de samba ; la peinture se démultipliait en cadences colorées, s’étendait, coulait, s’élargissait, rapetissait, selon les différentes images qui s’imposaient à l’esprit.

Pour cette nouvelle exposition, les mots et les lettres ont disparu. La difficulté du jeu monte d’un cran.
Quatre virgules colorées sur une toile laissée partiellement brute, suggèrent un sourire en quatre temps : rire rouge, rire jaune, sourire en coin, rire chocolat. Ces virgules en prélude, marquent une pause en clé de fa, avant d’attaquer le reste de l’exposition à pleines dents.

La peinture est partout. Elle a comme nous, des états d’âme selon les jours. Elle se réveille légère et discrète, à peine audible.

Parfois, elle règne du fond des mers aux cieux obscurs et fête la gestation de couleurs improbables. Elle quitte la palette et se greffe à l’œil pour ne plus le quitter.

La peinture est partout : dans les logos publicitaires qui nous entourent, imprimée sur les pages d’un magazine, agrippée aux serifs d’une police de caractère, dans la signature atypique d’une amie, dans le tissu usé d’une chemise ou dans la tapisserie d’un meuble… C’est ainsi que la vit Camila, et les possibilités sont infinies. Mais peut-on tout peindre ? Comment choisir ?

Si le motif peint a une certaine importance (pourquoi peindre des poissons et un peigne plutôt qu’autre chose ?), il sert surtout d’excuse à la réalisation d’un nouveau tableau et de point de départ à toutes les problématiques qui accompagnent cette création : comment peindre? dois-je prolonger le coup de pinceau? pourquoi cette couleur plutôt qu’une autre?

 » Picturesque  » dénomme la qualité intrinsèque, le potentiel, qu’auraient certaines choses, certains paysages, à servir en particulier de motifs à la peinture. Parfaite excuse à la naissance d’un tableau, la peinture serait déjà présente en eux. Il s’agirait pourtant d’une esthétique particulière : une harmonie un peu rustique, une beauté crue, comme on le dit du lait ou d’un fromage lorsqu’il n’est pas pasteurisé. Le picturesque découlerait d’une splendeur naturelle, non filtrée, gourmande et juteuse comme un fruit mûr, non allégée.

La séduction ne se fera alors pas par l’intermédiaire de sous-entendus mais de manière franche et frontale.

On retrousse les manches de sa chemise, on embarque ses pots de peinture et sa fourrure de zèbre ou de guépard. Ces tableaux sont nouveaux, ils sont frais, et vous laissent sur les joues et la bouche des traces de rouge à lèvre lorsqu’ils vous embrassent.

Les peintures de Camila Oliveira Fairclough se composent d’éléments divers empruntés au quotidien : de choses concrètes, de choses abstraites, de sons suggérés ou transformés en images et de la réappropriation d’images. Et pourtant, la peinture de Camila n’est pas à être lue ou à être décryptée pour être comprise, elle rejoint sans doute en cela le domaine de la poésie.

Le pelage du petit mouton qui nous regarde suggère peut-être l’aspect duveteux de la toile elle-même. Les poissons réduits à un dessin minimal n’en forment peut-être qu’un seul dont les mouvements auraient été capturés. Un lapin blanc vient bondir sur un fond élastique en vinyle vert. Avant de réussir à voir les chauves-souris, j’ai cru entendre leur bruissement d’ailes dans la nuit… La peinture devient sonore, tactile et haptique, verbale.

Cette peinture semble suivre l’idée de Mallarmé selon laquelle “nommer un objet, c’est supprimer les trois quarts de la jouissance du poème qui est faite de deviner peu à peu : le suggérer voilà le rêve”. Ce qui est donné à voir, ici, n’est pas (seulement) ce qui est à être vu.

La peinture n’est plus depuis longtemps le support privilégié de la mémoire, du souvenir, de la propagande, de la religion, ou même de la démonstration du pouvoir ou de l’argent. D’autres supports sont venus étayer ces causes-là. Le pittoresque quant à lui est sans doute mieux capturé aujourd’hui derrière l’objectif de l’appareil photo. Alors que reste-t-il dans le tableau?

La réponse est peut-être très simple : de la toile, de la peinture et des traces de pinceaux. Et presque tout est permis.

Le fait de produire et de construire des images devient matière à réflexion ; on passe alors du pittoresque au pictural, et au-delà : au métapictural[1]. Ces questions n’ont jamais de réponse unique, et, qui plus est, elles reviennent sans cesse, à la naissance de chaque tableau ; les différentes solutions coexistent alors de manière potentielle sur la toile comme un rébus sans bonne réponse.

Texte écrit en mars 2018, à l’occasion de l’exposition « Picturesque » de Camila Oliveira Fairclough à la galerie Emmanuel Hervé, Paris


[1] Le métapictural tel que décrit par Victor Stoichita correspond à l’éveil, la prise de conscience d’une peinture qui se comprend comme image, qui comme telle, comprend ses limites, et qui opère et réfléchit selon ces limites.

V. Stoichita, L’Instauration du tableau. Métapeinture à l’aube des temps modernes, Genève, Droz, 1999, p. 353

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