Une peau jaune, verte, rouge, bleue. Une peau rugueuse, épaisse. Reptilienne ? Amphibienne, peut-être ? Une peau froide qui n’a rien d’humain.
Six caissons lumineux, habillés de cuir d’anguille teinté et cousu, sont accrochés légèrement en hauteur dans la salle. Leur présence entoure et domine le spectateur. La couleur tombée du ciel est le titre qui réunit ces pièces hybrides, mi-animales mi-circuit électrique. Un hommage au récit de science-fiction de H.P. Lovecraft, mais aussi un titre qui souligne leur entité en quelque sorte extraterrestre, sensation provoquée sûrement par ce mélange entre la texture du cuir, la lumière qui apparaît et disparaît au gré des mouvements du regardeur, et les longs et lourds câbles alimentant les pièces, laissés apparents.
Une peinture, généralement, ça ne se branche pas. Ces six caissons, sont comme des visiteurs d’une autre planète, ayant peut-être pour objectif de supplanter la peinture (leur format, leurs compositions, pourraient faire penser à des tableaux abstraits), comme cela arrive souvent dans les films de science-fiction : des entités se substituant aux habitants terrestres.
Les autres résidents de cette exposition semblent avoir la même idée derrière la tête : des papiers brouillon et du gaffer ont remplacé les compositions non-figuratives du début du XXe siècle, une multitude de visages féminins (un public) est comme piégée, gelée, derrière des paillettes de mica dans Audimat.
Les pièces que produit Marcel Devillers semblent souvent témoigner d’une même supplantation ou d’une absence dont il ne nous resterait que des traces quelque peu énigmatiques, un peu à l’image d’une coquille vide abandonnée par son habitant, mais ayant gardé la forme précise, exacte, peut-être moins du corps de ce dernier que de la présence et du passage de son locataire. La figure humaine n’y apparaît jamais ou presque, elle y est pourtant très présente.
Je vous les donne pour mille est une série de quatre étagères avec des objets divers : un tirage coloré d’une pierre précieuse, tel que l’on pourrait en trouver dans le monde publicitaire, accompagné d’autres éléments plus variés (des paillettes, un livre sur des papillons, des petites pierres, la carte postale d’un avion).
Néron, se serait servi d’une émeraude comme instrument d’optique pour contempler les combats de gladiateurs, en évitant ainsi la réverbération éblouissante du soleil. La pierre précieuse, par analogie, devient ainsi l’œil du regardeur, le cristallin (de l’empereur, le nôtre) se métamorphose en émeraude, saphir ou tourmaline.
Éprouver l’identique, une chaise longue minimaliste formée par trois miroirs n’est évidemment pas un élément de design invitant à son usage. Cette sculpture suggère plutôt la présence (ou l’absence) de quelqu’un, l’espace occupé par un corps et un regard tourné vers le haut, comme en contemplation, ou peut-être vers l’intérieur : une rêverie lors d’un sommeil profond.
Passage au moderne (après le lac) montre probablement de manière plus explicite ce caractère anthropomorphe présent dans les pièces de Marcel Devillers. La sculpture rappelle un personnage en mouvement (un peu à l’image du Nu descendant un escalier d’un autre Marcel), un personnage sortant du lac ? Il s’agit peut-être de Narcisse, saisi en pleine métamorphose avant de se transformer en fleur.
C’est que, dans la pratique du jeune artiste, à travers les transfigurations qui s’y profilent, on y flaire comme un danger ou un piège. Les choses, les mots, ne sont pas forcément ce qu’ils paraissent ou désignent. La séduction des matériaux haptiques qu’il utilise (les paillettes et surfaces miroitantes, la chaleur ou froideur du cuir, la douceur de la soie), les couleurs vives et joyeuses ont peut-être pour seul objectif de nous happer (ceci est vrai également pour le monde du cinéma, de la publicité ou de la mode, à qui l’artiste semble emprunter des références ou des codes visuels) : un peu comme la fleur carnivore attend l’insecte, brillant de milles couleurs, étrangement trop appétissante, curieusement trop facilement offerte. Celui qui chuchotait dans les ténèbres se livre à un jeu de prédation, dans lequel nous sommes et le spectateur et la victime.
Texte écrit en septembre 2015