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En parlant de choses et d’autres. La peinture de Bastien Cosson

Il y a quelque chose de drôlement rassurant dans le motif d’une nappe de cuisine. Qu’elle soit ornée d’un motif de Vichy, d’un autre type de composition quadrillée, ou de tout autre forme de décoration à caractère répétitif, il y a quelque chose de chaud et de familier, et même de très Français dans ce motif. Ce sentiment tient sûrement à l’évocation de souvenirs empruntés et à des moments vécus de pur bonheur : la toile cirée avec laquelle la maman ou la grand-mère recouvre la table familiale, le plaid qu’on pose sur l’herbe lors d’un pique-nique pour profiter de la chaleur de l’été, ou le couvercle des confitures qu’on prépare pour conserver le goût sucré des fruits jusqu’en hiver.
Ce même sentiment nous retrouve lorsque l’on prend son café en terrasse, de préférence au soleil, qu’on grille une cigarette, et qu’on parle de choses et d’autres autour d’une petite table circulaire.
Des fois d’ailleurs, on parle d’art.

Il y a quelques chose de toutes ces images citées plus haut qui ressort dans la série de tableaux que Bastien Cosson a réalisée dernièrement.
Neuf peintures, toutes du même format. Comme support, l’artiste a choisi des tissus à motif le plus souvent quadrillé, quelques fois des motifs horizontaux rayés colorés. Moins que la grille moderniste de Mondrian ou la grille virtuelle de Photoshop sur laquelle on vient insérer des images, c’est cette idée de la nappe qui revient.
En fait, ces tableaux pourraient évoquer les Tableaux-pièges de Daniel Spoerri, où l’artiste fixait les restes ou les traces d’une situation sur le support du moment. Il s’agissait le plus souvent d’un déjeuner, ou d’un dîner, d’une activité conviviale, de partage et de plaisir autour de la bouffe donc, sur une table (avec ou sans nappe). Ces tableaux fonctionnent alors comme des clichés, des sortes d’instantanés qui tentent de figer une certaine beauté, une poésie, trouvée dans le quotidien.

Ce qui se consomme ici, c’est plutôt de la peinture et des images de celles-ci. En reprenant le processus de Spoerri lors d’un café avec Bastien ou lors d’un des vernissages à Palette Terre, l’espace d’exposition/galerie qu’il a ouvert chez lui, on pourrait peut-être arriver au même résultat que ce que nous montrent ces toiles. Les images fixées sont celles dont il vous parle, et dont il vous dira qu’il les a trouvées dans un livre épais et ancien, au nom pompeux de Pour une renaissance de la peinture française, livre écrit en 1946, sous Vichy (comme le motif), et qui blâme surtout ces différents types de peintures, un brin trop modernes, qui voient le jour depuis le déclin des impressionnistes et des fauvistes. Mais ce détail est moins important que le simple fait que ces images nous servent de support à une conversation, à des échanges, et c’est dans ce partage que réside l’esthétique que développe Bastien Cosson.

La peinture peut-elle être posture ?[1] Être peintre à un moment, c’était être ringard, être hors-sujet. Peut-être qu’aujourd’hui d’ailleurs il vaut mieux être peintre américain que peintre européen. C’est plus stylé. Et la peinture, elle, était devenue une activité sympa, chouette, une excuse pour occuper ses dimanches.
On pose son chevalet, dessus son châssis. On sort la peinture du tube, sur la palette, et on peint, de préférence au couteau.
Dans cette série de tableaux de Bastien Cosson, c’est les mêmes éléments que l’on retrouve. Les chefs d’œuvres choisis par Jacques Baschet sont parfois collés directement sur la toile sans autre intermédiaire que la peinture. Il y a un côté presque bourrin à ce geste là, il est pourtant bien mesuré et réalisé avec finesse, d’un seul trait, car aucune place n’est laissée à l’erreur. Sinon, il faudrait tout recommencer. Les gestes peuvent être lus de tableau en tableau : c’est une partition musicale qui se créé, une continuité mélodique. Une continuité, sans ironie ni cynisme, entre les chefs d’œuvres anciens et ce que l’on fait aujourd’hui, quand on discute autour d’une table, autour d’une nappe, sous le soleil, en prenant un café, qu’on parle d’art, puis qu’on parle de choses et d’autres aussi.


[1] La peinture comme posture est le titre que l’artiste donne à cette série de tableaux.

Texte écrit en mars 2015

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