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Les espaces afonctionnels de Clara Stengel

 » J’ai plusieurs fois essayé de penser à un appartement dans lequel il y aurait une pièce inutile, absolument et délibérément inutile. Ça n’aurait pas été un débarras, ça n’aurait pas été une chambre supplémentaire, ni un couloir, ni un cagibi, ou un recoin. Ç’aurait été un espace sans fonction. Ça n’aurait servi à rien, ça n’aurait renvoyé à rien.  »

Georges Perec, Espèces d’espaces.

 

Photos et courtesy : Clara Stengel©

Après une porte, une seconde porte. C’est ainsi que commence le parcours que nous propose Clara Stengel lors de son accrochage du 7 juin à l’École Nationale Supérieure des Beaux-Arts.
L’ensemble d’éléments construits par l’artiste semble évoluer a mi-chemin entre le plan d’architecte et les jeux de construction pour enfants.
Les différents objets et espaces de la vie quotidienne — une porte, un mur, un bureau, une cuisine — sont privés de leur fonction première et réduits à l’état de signes, tout en demeurant instantanément identifiables.

Un Seuil infranchissable, une porte qui n’ouvre aucun passage — il n’y a d’ailleurs pas de poignée destinée à cette fin — double la porte d’entrée du lieu.
Reflet simplifié et afonctionnel, cette porte signifie, plus qu’elle ne l’est, une porte. Le socle en forme de quart de cercle suggère son mouvement, comme il le ferait sur le plan d’un architecte, tout en figeant solidement la planche en bois.

À gauche, une toile cirée de vingt-cinq mètres, pliée sur elle-même, devient volume et objet sculptural, ou peut-être aussi torchon de cuisine surdimensionné.
Le motif de Vichy rouge et blanc, celui-là même que l’on retrouve sur les pots de confiture ou les plaids de pique-nique, suffit à transformer l’espace investit, par association mentale, en coin cuisine ou en petite salle à manger.

Faisant face à la toile cirée, une sorte de paravent, des planches en bois articulées de charnières, reprend les dimensions exactes du mur porteur, mesurant davantage la surface du mur qu’il ne contribue à organiser ou à diviser l’espace. Ces Coulisses sont prolongées par un Couloir qui contraint les déplacements du spectateur, nous forçant ainsi par l’expérience du corps, à nous remémorer la présence du mur et sa matérialité — souvent masquée dans l’espace du white cube.

Un dressing minimaliste trône au milieu d’une estrade dans ce qui devient l’espace principal et une pièce intime. Il est suivi par une large construction parallélépipédique peinte en bleu ciel, un Bassin figeant plastiquement un volume d’eau, évoquant la présence d’une piscine ou d’une salle de bain.
Nous revenons alors, comme pour les 200 carreaux de Vichy, aux jeux pour enfants — Barbie, Kapla ou autre — où les jouets évoquant leur pendant originel sont privés de leur fonction première ou de leur utilité et ne respectent pas les échelles. Ce principe, radicalisé par Clara Stengel, réduit les éléments a minima.
L’artiste simplifie les objets, elle les aplatis et leur confère une surface parfaitement lisse, débarrassée de détails. Ainsi, les différentes œuvres emploient plutôt un langage bidimensionnel — une transposition volumétrique d’objets que pourraient peindre Julian Opie, Gerwald Rockenschaub, ou Farah Atassi — en ce qu’elles relèvent plus de l’image et du signe que de l’objet réel lui-même.

En continuant notre parcours, le linoleum rouge couvrant le sol semble suggérer une pièce à part qu’occupe une maquette à même le sol. Celle-ci reprend l’espace d’exposition, son organisation, et les objets qui habitent le lieu, en détail. Le plan est directement découpé sur le linoleum et laisse paraître le sol blanc d’origine.
Cette mise en abyme, référence à l’architecte, mais peut-être aussi au commissaire d’exposition qui organise spatialement une exposition, nous rappelle qu’ « À l’origine l’espace, c’est le vide. Mais [qu’]il suffit de tracer en noir le périmètre d’un carré blanc pour que le vide ne soit plus le même. »
Comme Perec dans cette citation, Clara Stengel nous fait constater que dans nos constructions mentales il suffit d’un motif de Vichy pour évoquer une cuisine, ou de planches de différentes dimensions, disposées verticalement, pour suggérer une porte ou un mur. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si l’artiste a fait le choix d’exposer dans l’espace où elle a travaillé tout au long de ses dernières années d’études. Clara Stengel cherche à dresser un portrait, à redessiner le plan de ce lieu transformé de force en white cube, à travers un langage des plus simples et des plus simplifiés. 

Clara Stengel est née en 1989. Diplômée de L’Ecole Nationale Supérieure des Beaux-Arts de Paris en 2012, elle vit et travaille à Paris.

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